1976 – Le Monde – Lancement de l'enquête d'utilité publique

Les choses semblent se précipiter pour le projet de grand canal Rhin-Rhône quand Jean-Pierre Fourcade, le ministre de l’Équipement, annonce le lancement d'une enquête hydraulique et de l'enquête d'utilité publique dans les 145 communes concernées. Dans Le Monde du 27 octobre 1976, certains s'inquiètent de questions laissées en suspens, comme celle du financement. André Bord, président du conseil régional d'Alsace, en fait partie.

« Les régions devront y apporter leur part, mais dans une juste mesure. Il s'agira d'aménager ce projet pour répondre aux aspirations en apparence contradictoires des populations. Car seule l'industrialisation permettra de garantir l'emploi. Écologie et économie sont donc condamnées à vivre de concert. »

Concernant la maîtrise d’œuvre, le gouvernement veut un établissement public mais le ministre ne sait pas encore lequel.

« Nous aurons tout intérêt à donner à cette personne juridique le maximum de compétences et la plus large représentativité. »

À Marseille, la CCI et le maire demandent le canal.

À la suite de ces déclarations, les membres de la conférence interrégionale Rhin-Rhône, une coalition d'intérêts pour la réalisation du grand canal, sont persuadés que le projet est lancé pour de bon. La CCI de Marseille, qui fait partie des fervents supporteurs du grand canal, publie dans une étude :

« Cette liaison est indispensable pour conforter la mutation de Marseille de port à vocation coloniale en port à vocation industrielle et internationale. (…) La voie de Marseille constitue le passage naturel pour les exportations européennes vers les pays du bassin méditerranéen et les au-delà de Suez. Pour le transit de ces productions qui comportent, notamment, souvent des masses lourdes indivisibles destinées aux industries de base, le Rhône et la liaison Rhin-Rhône doivent être des instruments privilégiés. »

Gaston Defferre, le maire de la ville, dit aussi craindre la concurrence des ports situés au débouché du Rhin, lorsque ce fleuve sera relié par le Main au Danube, pour les destinations autour de la mer Noire. Et, avec la CCI, il tient à affermir les relations commerciales de son port avec la rive sud de l'Union soviétique, avant de voir les bateaux rhénans descendre les flots bleus du Danube.

Mais tous les acteurs, dans la cité phocéenne, n'attendent pas le salut de la construction d'un canal. Un an auparavant, dans Le Monde du 24 novembre 1975, le directeur du Port autonome de Marseille, Yves Boissereinq, estimait que « L'interpénétration des hinterlands nord-européen et rhodanien est déjà réalisée. Cette liaison supplémentaire n'est pas vitale pour nous. ».

Le directeur du port ne s'en tient pas à des généralités, cependant, et analyse la situation dans le détail.

« En réalité, explique M. Boissereinq, l'hinterland du port dépend essentiellement des destinations de la marchandise. Pour le trafic avec l'Amérique du Nord, par exemple, nous ne pourrons jamais rivaliser avec les ports de l'Europe du Nord." Le directeur du port estime également que les tendances actuelles du transport des marchandises, en particulier la "conteneurisation", ne favorise pas la voie d'eau, qui est traditionnellement le support du trafic de vracs industriels. Quant au transport des hydrocarbures, il est assuré par le pipe-line sud-européen qui, de Fos, atteint Strasbourg, Karlsruhe et, au-delà, Manheim au nord et la Bavière à l'est (les produits raffinés sont acheminés par un autre oléoduc Méditerranée-Rhône). Les voitures de Peugeot, qui descendent actuellement par l'autoroute pour être expédiées vers l'Afrique du Nord et d'autres pays méditerranéens, et les camions de Berliet, qui partent vers la Chine, pourront, en revanche, emprunter la voie d'eau.
Le développement de Fos ? Que décideront les adhérents de Solmer ? L'usine sidérurgique a plutôt une vocation exportatrice et un marché propre dans le Sud-Est. Mais, d'ici vingt, ans, personne ne sait en fait où sera fabriqué l'acier européen. »

Certains au port de Marseille considèrent, en 1975, que l'avenir du port se joue dans l'hinterland proche et qu'il faudrait promouvoir plus activement les zones industrielles aménagées en bordure du Rhône, rapporte encore Le Monde.